septembre 3, 2024

Interview Gilles Bosquet

Gilles Bosquet, médaillé olympique, entraineur de l’équipe de France d’aviron -18ans
Interview réalisée en Août 2023

Vous dirigez une équipe, pouvez-vous nous en dire plus sur votre activité ? Je dirige actuellement un groupe de l’Équipe de France d’Aviron. Onze garçons âgés de 17 à 18 ans qui préparent le Championnat du Monde.

Qu’avez-vous appris de votre expérience ? J’ai appris à adapter mon discours et mon attitude en fonction de la réponse que j’obtiens des athlètes que je forme. J’essaie d’être inspirant mais de ne pas trop rentrer dans la dimension émotionnelle de ma relation avec les athlètes.

Quelqu’un vous a-t-il inspiré ? Raynald Delestre : mon premier entraîneur (un classique pour un sportif), celui qui m’a formé et permis de décrocher mes premières médailles en club et avec l’Équipe de France. Je m’inspire également beaucoup des situations que rencontre ma femme Ségolène, manager en entreprise.

Un livre ? « Ils étaient un seul homme – The Boys in the Boat » de Daniel James Brown. L’histoire de l’équipe US d’aviron qui a remporté les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin. Ce récit rassemble l’ensemble des valeurs de l’aviron et celles qui caractérisent le sport en général.

Dans votre équipe préférez-vous un génie avec un sale caractère, ou un gentil pas très génial ? Le gentil est un atout important si vous le mettez en réussite. Le génie, lui, apporte le grain de folie nécessaire à transformer le gentil en génial. Le génie est la clé de la réussite comme de celle de l’échec s’il n’est pas correctement cadré au sein du groupe.

Pour vous, l’ignorance est-elle une faute ? Milan Kundera écrit « Si l’on était responsable que des choses dont on a conscience, les imbéciles seraient d’avance absous de toute faute. L’homme est tenu de savoir. L’homme est responsable de son ignorance. L’ignorance est une faute. » La connaissance est indispensable dans mon métier. Certaines informations sont faciles d’accès tandis que d’autres, notamment celles qui touchent à la personnalité et au fonctionnement d’un individu, le temps manque souvent quand on prépare une compétition. Milan Kundera est certainement mieux placé que moi pour affirmer que l’ignorance est une faute. De mon côté je cherche à connaître, c’est déjà bien non ?

Quel type de personnalité recrutez-vous en premier ? Une attitude ? Si oui, laquelle ?
Je vais cibler une personne plutôt enjouée, heureuse de faire partie de l’équipe, et prête à collaborer pour aider le groupe à progresser. Une attitude ? Un sourire.

Quelle importance le charisme a-t-il pour vous ?
Je vais plutôt essayer de déceler des attitudes de leader : un athlète qui va donner l’exemple par son engagement dans l’effort, par sa capacité à être solidaire de ses coéquipiers, quel que soit leur niveau. Pas forcément le plus fort (ou le génie) mais celui qui va donner le ton et que les autres vont suivre sans se poser de question. C’est effectivement le début d’une forme de charisme.

Avez-vous une citation favorite sur le leadership ? 
« Gagnez votre leadership au quotidien », Michael Jordan.

« Le jeu construit la culture, est la culture » nous dit Johan Huizinga dans Homo Ludens : comment apportez-vous du jeu, de l’émulation, du plaisir, de l’entraide dans votre équipe ? 
Nous pratiquons un sport d’équipe dont l’essence même est l’entraide et l’émulation. Ceux qui n’ont pas compris cela atteignent rarement les rangs de l’Équipe de France. J’essaie de renforcer ces valeurs naturellement présentes dans notre culture
aviron en favorisant la collaboration et la notion de plaisir en dehors de l’entrainement. Pour tout donner en course pour ses coéquipiers, il est préférable de savoir les apprécier en dehors du bateau.

Sur quelles valeurs êtes-vous inflexible ? L’engagement. Je ne reproche rien à quelqu’un qui donne le meilleur de lui-même.

Travaillez-vous quotidiennement sur le jour « idéal » ?
Oui, mais indirectement. On se prépare pour le jour « idéal » mais il n’en existe qu’un et je pense qu’il est impossible à reproduire. Nous travaillons donc séparément tous les éléments dont nous aurons besoin le jour J.

Pensez-vous que les forces conduisant au succès deviennent par la suite celles de l’échec ? On ne gagne pas deux fois de la même façon ; trop de paramètres influencent la performance pour qu’elle soit reproductible à l’identique. Après un succès il faut donc apprendre à gagner d’une autre façon.

Comment redonnez-vous confiance à un collaborateur qui en manque ? J’essaye de formuler clairement les choses avec lui. En fonction de cet échange, nous pouvons repasser par des situations qui vont le mettre en réussite. L’un des principes que j’utilise est également le renforcement des points forts lorsque l’on atteint un certain niveau. Quand on n’a plus de temps devant soi, il ne sert à rien de faire évoluer des capacités que l’on a pas réussi à développer.

Trois conseils à un jeune qui se cherche ?
« Ne calcule pas, engage-toi dans tes projets, développe tes relations avec les autres. Il est trop difficile de réussir seul. »

Quelle importance a pour vous l’exemplarité ?
Elle est déterminante mais ne doit pas être bloquante. Je dois être un exemple mais la différence d’âge avec les athlètes que j’entraîne m’autorise quelques écarts. Chacun à sa place. Par contre j’utilise l’exemplarité que peut représenter un autre sportif ou un des membres de l’équipe. On peut être pris en exemple sans être totalement exemplaire. Heureusement !

Entre le talent et la volonté quel est le carburant le plus puissant ?
La volonté, sans hésiter. Le plus précieux des talents.

Comment donnez-vous du champ à vos collaborateurs ?
La jeunesse des athlètes que j’entraîne m’impose d’être plutôt directif dans mon management. Néanmoins je leur laisse une relative autonomie lors de certaines phases d’entraînement. Cependant il n’y a pas vraiment de place pour l’improvisation dans l’entraînement de haut niveau !

Une question à laquelle vous auriez aimé répondre ?
Suis-je heureux dans mon métier ? Car manager est souvent vécu comme une contrainte en se confrontant aux caractères, parfois en montrant du doigt ce qui ne va pas. Mais partager mon enthousiasme et ma façon de concevoir la performance avec l’équipe est une chance. J’évolue dans un milieu particulier où la recherche de performance peut tendre les relations. Mais pour moi, entraîner
est un plaisir.

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