septembre 5, 2024

Interview Gilles Colliard

Gilles Colliard, soliste, compositeur, chef d’orchestre
Interview réalisée en Avril 2023

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle dans la direction d’une équipe ? Quelqu’un vous a-t-il inspiré ? Un livre ?
On considérait que j’étais un violoniste prodige. Aussi, dès l’âge de 15 ans je parcourais le monde en interprétant des concertos en soliste accompagné par divers orchestres. Je sentais que ce chemin solitaire ne pouvait en aucun cas répondre à mes attentes. Je voulais composer, diriger mes oeuvres et les compositeurs d’antan, enseigner, bref, m’épanouir en tant que musicien complet. Mon rôle est d’être, aux yeux des musiciens que j’ai sous ma direction, une référence à laquelle ils doivent pouvoir adhérer tout en veillant à créer une ambiance de travail où chacun se sente respecté et entendu.

Une maxime m’anime depuis mes dix-huit ans, ‘‘Être ivre du propre vol de ses ailes.’’ Aussi, le plaisir du travail accompli, créé, n’empêche en rien l’ivresse éprouvée dans le travail.

Comment gérez-vous l’obligation du résultat ?
Le seul moyen d’arriver à mon but est d’être persuasif, de prouver à mes musiciens que je peux argumenter ma conception. Ainsi, le résultat se concrétise par l’exécution parfaite de l’oeuvre que je dirige.

Composez-vous votre équipe en fonction de la tâche à accomplir, c’est-à-dire les bonnes personnes au bon endroit au bon moment ? Ou gardez-vous toujours la composition de l’équipe qui gagne ?
Dans un orchestre, il y a une très forte hiérarchie. Le poste le plus important après celui du chef d’orchestre, est celui du premier violon solo. Soit en général le plus exposé, véritable relais entre le chef et ses collègues. J’ai souhaité instaurer une alternance au sein des pupitres afin que plusieurs violonistes puissent s’investir du rôle de premier violon solo.
Cela permet au musicien sélectionné de réaliser la difficulté de sa tâche, lui évitant de tomber dans le piège des jugements hâtifs, en étant soudain conscient des difficultés rencontrées.

Pour vous, l’ignorance est-elle une faute ? Milan Kundera a écrit ‘‘Si l’on n’était responsable que des choses dont on a conscience, les imbéciles seraient d’avance absous de toute faute. L’homme est tenu de savoir. L’homme est responsable de son ignorance. L’ignorance est une faute.’’
Je suis totalement d’accord. L’ignorance est un fléau auquel je suis confronté quotidiennement. Cela vient sans doute de l’époque dans laquelle nous vivons. Aujourd’hui, je suis stupéfait de constater que des artistes en vue ne sont que les perroquets de leur enseignant de jadis, qu’ils n’ont eux-mêmes jamais fait de démarche personnelle afin de comprendre le message qu’ils transmettent.

Pour vous, quels sont les facteurs essentiels de la réussite ?
Mon expérience personnelle m’apprend que le facteur déterminant est la chance. Il faut premièrement la repérer, c’est-à-dire être dans un état de réceptivité, d’accueil.

Où se situe le dépassement de fonction chez vos collaborateurs ?
Mon but en tant que chef d’orchestre est d’apporter une attention toute particulière aux attitudes déplacées, motivées par la problématique de pouvoir. Elle concerne beaucoup d’artistes que je côtoie et crée des dynamiques internes malheureuses.

Que pensez-vous de cette apostrophe de l’écrivain Walter Tevis adressée à un jeune champion de billard dans Hustler (1959) sur
la mentalité du vainqueur : ‘‘Pas de volupté du laisser-aller, pas d’attendrissement sur soi, pas d’instinct naturel d’autodestruction.’’
Le musicien doit en permanence offrir une prestation de qualité, qu’importe sa santé, la fatigue. Dans un monde où l’on attend en permanence de l’artiste qu’il reflète la perfection, la pression permanente nécessite un minimum ‘‘d’attendrissement sur soi’’pour reprendre la formule de Walter Tevis.

‘‘Le jeu construit la culture, est la culture’’, dit Johan Huizinga dans Homo Ludens : comment créez-vous du jeu, de l’émulation, du plaisir, de l’entraide dans votre équipe ?
Le métier de musicien d’orchestre est un métier d’entraide, de collaboration. On ne réussit pas à titre individuel l’exécution d’une pièce, on fait partie d’un corps dont tous les membres s’entraident afin que chacun puisse donner le meilleur de lui-même pour le bénéfice du groupe.

Pensez-vous que les forces menant au succès peuvent ensuite devenir celles de l’échec ? Comment réagissez-vous à l’échec ?
Le succès est synonyme de danger. ‘‘J’essaie de ne pas oublier d’où je viens, de ne pas oublier les valeurs qui m’ont été inculquées.’’ L’échec est le meilleur des moteurs. Il a toujours un sens. Dans mon parcours, les échecs que j’ai rencontrés se sont avérés avec le temps des chances précieuses.

Pensez-vous que l’impermanence et l’improvisation sont les nouvelles règles du succès ?
Non. Notre société souffre d’un manque de valeur. Nous sommes dans un monde qui s’éteint, faute de spiritualité, englué dans la matière. SI l’impermanence et l’improvisation peuvent dans ce monde-ci trouver un echo, ces termes ne font pas partie de mon vocabulaire.

Comment redonnez-vous confiance à un collaborateur ?
C’est un travail relationnel. Souvent par le sourire. Il m’arrive souvent, lors des concerts, de fixer un musicien et d’attendre que nos regards se croisent pour lui sourire généreusement. Il comprend ainsi le plaisir que j’ai de le compter parmi les membres de mon orchestre. Je le fais sciemment lorsque je décèle chez un collègue un manque de confiance et d’assurance.

Pensez-vous que les qualités naturelles (imagination, ingéniosité,etc.) peuvent s’apprendre ?
Par définition les qualités naturelles sont innées et ne s’acquièrent donc pas.

Sur quelles valeurs êtes-vous inflexible ?
L’amour, la plus belle des valeurs, ‘‘La mesure d’aimer est d’aimer sans mesure.’’ L’amour interdit le jugement – cause de toutes les tensions et de toutes les guerres.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui cherche sa voie ?
Rester dans l’observation permanente de lui-même. Prendre conscience du poids des mots, de la portée des gestes.

Entre talent et volonté, quel est pour vous le carburant le plus puissant ?
Le talent n’est pas un carburant, c’est un état de fait. Seule la volonté est un carburant.

Comment pensez-vous utiliser le temps ?
Ma grande force : l’insomnie ! Je dors en moyenne 4h par nuit depuis 35 ans. Un handicap qui s’avère en fait être un atout qui facilite grandement ma gestion du temps. Je ne suis jamais en retard et cela ne tient pas qu’à mes origines suisses…

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