septembre 3, 2024

Interview Philippe Bergeroo

Philippe Bergeroo, joueur et entraineur professionnel de football
Interview réalisée en Juin 2023

Vous dirigez un groupe, pouvez-vous m’en dire un peu plus sur votre activité ?
J’ai toujours été un leader, même enfant, et dans pas mal de clubs. Les coachs m’ont toujours donné le capitanat de l’équipe. Je savais fédérer, montrer l’exemple, surtout dans les moments difficiles. Avant tout, qu’est-ce qu’on demande à un leader ? D’être compétent, il doit dire les choses au bon moment et protéger son groupe, quitte à passer après.

Qu’avez-vous appris au fil du temps ?
Qu’il faut être travailleur parce qu’on ne réussit pas sans travail. Et chercher à s’améliorer, tout le temps, que ce soit pour un sportif ou pour un entraîneur, aller voir ce qui se passe à l’extérieur, s’inspirer, se renouveler. Est-ce que je vais supporter la pression, me battre pour mes joueurs par rapport aux dirigeants, me battre pour les joueurs par rapport aux médias ? Il faut être très fort mentalement. ‘‘Si vous gagnez le match, vous gardez les mêmes joueurs’’

Quelqu’un vous a-t-il inspiré ?
Un entraîneur que j’ai eu à Lille. Un entraîneur basque, José Arribas.
Longtemps entraîneur du FC Nantes, il était très paternaliste avec nous, mais quand ça n’allait pas, il tirait quelques cartouches.

Un livre référence qui vous aurait inspiré ?
Oui, j’ai lu et été inspiré par Le règne des affranchis de Claude Onesta, l’entraîneur le plus titré de France.

Quelles sont les erreurs d’un débutant manager ?
Le manque de patience, en fait c’est peut-être plus une question d’approche. Il ne faut pas croire qu’on a tout compris après une saison réussie. Être Leader est à l’image de la vie : vous avez de bons moments, vous en avez des mauvais, mais il faut rester sur sa ligne de conduite soit le respect des autres et le respect du travail. Quand j’étais à Lille, on m’a demandé d’aller accueillir François Mitterrand à l’aéroport, avec des fleurs, des roses rouges. J’ai répondu que je n’avais pas de magasin de fleurs, j’étais capitaine du LOSC.

Comment gérez-vous la pression du résultat ?
Une technique de méditation, un mantra, un mot à répéter sur l’inspiration.

Dans votre équipe préférez-vous un génie avec un sale caractère, ou un gentil pas très génial ?
Un génie avec un sale caractère. Il va faire avancer les choses.

Composez-vous votre équipe suivant la tâche à accomplir soit the right person in the right place at the right time ? Ou votre équipe reste-t-elle toujours dans la même composition quelles que soient les circonstances ?
Question difficile, si vous gagnez le match, vous gardez les mêmes joueurs. Si vous perdez le match, vous êtes obligé de faire des changements.

Pour vous, l’ignorance est-elle une faute ? Milan Kundera écrit ‘‘Si l’on était responsable que des choses dont on a conscience, les
imbéciles seraient d’avance absous de toute faute. L’homme est tenu de savoir. L’homme est responsable de son ignorance. L’ignorance
est une faute.’’
Oui, c’est une faute, dans le sens ou cela signifie qu’on n’a pas cherché avant, qu’on n’a pas anticipé. Une absence de curiosité.

Comment dispensez-vous de l’enthousiasme ?
Par ma posture. Si j’arrive le matin et que je souris, tout le monde se dit ‘‘Tiens, il est bien le coach ce matin’’, si je ne souris pas, ‘‘Oh, il a du mal à dormir’’, ‘‘Il n’est pas rasé’’,‘‘Oh, il doit être fatigué’’…

Quel type de personnalité recrutez-vous en premier ?
Quelqu’un qui me regarde dans les yeux, c’est important pour moi. Je regarde l’attitude globale, je n’aime pas quand je serre une main molle.

Pouvez-vous noter vos facteurs de réussite ?
J’ai travaillé, beaucoup travaillé, en restant correct et humble, observant continuellement ce qui se fait de mieux ailleurs.

Que pensez-vous de cette apostrophe de l’écrivain Walter Tevis adressée à un jeune champion de billard dans Hustler (1959) sur la mentalité du gagnant : ‘‘Pas de volupté du laisser-aller, d’attendrissement sur soi-même, d’instinct naturel d’autodestruction !’’
C’est exactement ça. J’étais très inquiet quand tout se passait très bien. Quand on prend un but facile, par trop de confiance, c’est là que l’accident arrive.

‘‘Le jeu construit la culture, est la culture’’, nous dit Johan Huizinga dans Homo Ludens : comment apportez-vous du jeu, de l’émulation, du plaisir, de l’entraide dans votre équipe ?
J’avais une méthode du FC Nantes, en essayant de créer les automatismes sur tous les jeux à l’entraînement. Plus personne ne travaille comme ça, sauf peut-être Barcelone.

Sur quelles valeurs êtes-vous inflexible ?
Sur le travail. Celui qui n’a pas envie de s’entraîner, il rentre au vestiaire.

Travaillez-vous quotidiennement sur le jour ‘‘idéal’’ ?
Le jour idéal, c’est la veille de match, le passage en revue de toutes les options, et l’aspect tactique comme une répétition de ce qui va se passer.

Au sujet de la remise en question, pensez-vous que les forces conduisant au succès deviennent par la suite celles de l’échec ?
Quand on applique les mêmes règles créatrices de grands succès pendant deux ans, la troisième année… la formule ne fonctionne plus, il faut innover.

Pensez-vous que l’impermanence et l’improvisation soient les nouvelles règles du succès ?
Oui, il faut surprendre le groupe, parfois sortir complètement du cadre, des règles, du quotidien, savoir aussi lâcher et se lâcher parfois, faire plaisir. ‘‘Comme les prêtres il faut laisser parler’’

Comment redonnez-vous confiance à un collaborateur qui en manque ?
Comme les prêtres, il faut laisser parler, ne pas lâcher les gens dans une mauvaise passe, juste dire “si tu as besoin de parler je suis là”. Quand un joueur se fait siffler, parfois le prendre par le cou et lui dire “moi j’ai confiance en toi”, juste ça, et là le joueur se dit que je ne l’ai pas lâché.

Trois conseils à un jeune qui se cherche ? Vivre sa passion à fond, n’avoir aucun regret, et se dire qu’il y aura des moments difficiles avec la volonté de ne pas laisser tomber.

Entre le talent et la volonté quel est le carburant le plus puissant ?
Le talent. C’est la créativité du joueur de football, mais une créativité qui se travaille. Quand on est créatif, on est plus libre.

Comment donnez-vous du champ à vos collaborateurs ?
On est toujours surpris des attitudes et des désirs de nos collaborateurs. On donne du champ par l’écoute, on peut “répondre” ainsi au besoin de chacun.

Y a t-il une question à laquelle vous auriez aimé répondre et que je ne vous ai pas posée ?
Qu’est-ce qui est important dans ma vie ? La Vie. C’est quelque chose d’extraordinaire d’être vivant ! J’ai une photo chez moi de l’équipe de France de football. Plus le temps passe, plus il manque du monde, déjà cinq. Les problèmes, on les aura toujours, Il faut profiter, savourer. Je suis le petit gamin de Ciboure qui a atteint ses objectifs, pas tous, mais qui avait un rêve : je voulais faire les Jeux Olympiques et l’ai fait à Rio avec les filles.

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